
Emmanuel Delamarre, le directeur de la Plaine Images, est fier des nombreuses réussites locales. (©Hervine Mahaud / Lille Actu)
Avec un chiffre d’affaire record de 4,9 milliards d’euros et une croissance exceptionnelle de 15% en 2018 (dernier bilan du SELL), le jeu vidéo en France a de quoi faire pâlir n’importe quel secteur de l’industrie. Ce marché, encore considéré comme anecdotique il y a quelques années, pèse désormais plus lourd que celui du cinéma. Et cela n’est certainement pas prêt de s’arrêter tant notre société est avide de divertissement.
Face aux géants américains et japonais, la France a, petit à petit, réussi à se démarquer grâce à sa créativité et son audace. Et pour la première fois, une délégation française s’est rendue du 20 au 22 mars 2019 au plus grand salon du jeu vidéo réservé aux professionnels.
La Game Developers Conference (GDC), qui se déroule tous les ans à San Francisco depuis 1987, a pu permettre à 20 entreprises (dont 8 des Hauts-de-France) de montrer leur savoir-faire à des éditeurs et investisseurs du monde entier. Cette opportunité a été rendue possible grâce à l’impulsion de la Plaine Images, située à Tourcoing (Nord).
La Plaine Images a vu le jour au début des années 2010 sur un ancien site industriel. Ce lieu hybride, entièrement dédié aux industries créatives (audiovisuel, jeu, nouvelles réalités, design), sert à la fois d’incubateur et d’accélérateur d’entreprises. Pas étonnant alors que l’on y retrouve 80% des acteurs du jeu vidéo dans la région. Cet écosystème joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans l’industrie française du jeu vidéo et attire de nombreux talents.
Lille Actu a rencontré Emmanuel Delamarre, le directeur de la Plaine Images, avant son départ pour le salon San Francisco. L’occasion d’aborder la place des Hauts-de-France dans l’industrie française du jeu vidéo, des réussites locales et des perspectives d’emploi et de formation.
Comment se place notre région par rapport au reste de la France ?
Si l’on met de côté Paris, notre région est en concurrence avec l’Auvergne-Rhône-Alpes. Et plus précisément avec Lyon, qui est une belle terre de jeu vidéo.
Dans les Hauts-de-France, on est un des plus gros producteurs de jeux vidéo en France. On a deux très grosses boîtes, Ankama et Big Ben (dont le siège social est basé à Lesquin), qui sur le marché du jeu vidéo sont des acteurs énormes.
Est-ce que la Plaine Images attire au-delà de la région ?
On fonctionne et on se développe beaucoup en local mais on a aussi pas mal de gens qui sont venus de Strasbourg, de Paris, de Cannes pour trouver un écosystème. Et on a aussi des Belges. Et peut-être bientôt une boîte anglaise qui se demande si elle ne devrait pas s’installer ici car l’essentiel de ses équipes sont des français, merci le Brexit !
On attire au-delà des frontières, c’est d’ailleurs un vrai enjeu car la région parisienne est à deux pas et on est 4 fois moins cher au m². Et on a les compétences, l’écosystème, la recherche, les écoles, tout ce qu’il faut.
Quels sont les exemples de réussite dont vous êtes fier ici ?
On ne peut pas s’empêcher de parler d’Ankama (créateurs des jeux vidéo Dofus et Wakfu). C’est une histoire extraordinaire, il y en a 10 dans le monde des histoires comme ça. Dofus se serait lancé aujourd’hui sur un marché vierge, on serait sur des chiffres à la Fortnite car le marché est beaucoup plus mûr.
Les créateurs d’Ankama sont préexistants à la Plaine Images, ils ont acheté le lieu pour faire leur studio en 2007. Et ça a poussé les pouvoirs publics à réfléchir. Car dans ce secteur, on a Le Fresnoy avec la partie artistique pure et des installations vidéo très pointues. De l’autre côté de la rue, on a Pictanovo, le bras armé financier de l’audiovisuel. Et lorsque nos amis d’Ankama se sont installés de l’autre côté, les pouvoirs publics se sont dits qu’il se passait quelque chose ici.
Est-ce que le secteur du jeu vidéo recrute dans la région ?
On estime aujourd’hui que, sur la région, le jeu vidéo génère 1000 emplois directs. Sachant dans la région, tout se situe principalement dans la MEL et à la Plaine Images. On est dans un univers où l’on fait travailler beaucoup de free-lances et d’intermittents.
Le secteur recrute. Mais dans ce milieu où il y a une importante part créative et organisé en réseau, il faut être bon et passionné. Si on l’est, on peut passer très vite de production en production et gagner très bien sa vie.
Conseilleriez-vous aux jeunes de se lancer dans une formation liée au jeux vidéo ?
Oui, mais des formations liées à la création de nouvelles formes d’images, de nouvelles expériences ou qui peuvent divertir les gens. Je fais exprès de ne pas dire jeu vidéo car c’est plus large que ça. Des jeunes qui ont envie de se lancer dans ces formations là trouveront énormément de débouchées derrière. Il faut être ouvert car mes possibilités sont infinies. Quelqu’un qui souhaite ne faire que du jeu vidéo y arrivera peut-être, mais il y a peut-être 10 places pour 500 candidats.
Quel rôle jouez vous dans la formation des jeunes ?
On joue plusieurs rôles. D’abord, on vient aiguiser l’envie des jeunes pour qu’ils se dirigent vers ces formations. Par exemple, on organise la 4e édition du Forum Ère Numérique, un événement spécial sur les industries créatives. On va recevoir 300 élèves de collèges situés à proximité pendant une journée. A travers différents ateliers, ils vont découvrir des métiers, des technologies, des savoir-faire. Et si, dans ces 300, il y en a 10 qui trouvent leur voie, c’est génial.
Ensuite on a des formations sur site. Avec l’arrivée de l’école Pôle 3D, qui existait déjà sur Roubaix mais qui a décidé de faire étudier ses 3e, 4e et 5e années ici pour pouvoir bénéficier de l’écosystème et d’avoir un lien direct avec les entreprises qui sont ici.
Enfin, il y a une partie recrutement. Une fois par an, on organise un forum de recrutement où on invite des entreprises de la région qui proposeront des jobs.
Comment se classe l’école Pôle 3D par rapport aux autres ?
Elle fait partie des bonnes écoles. Elle a de l’expérience, elle a bientôt 15 ans d’existence, et dans ce milieu là c’est déjà beaucoup. Car il y a un phénomène de mode depuis quelques années où, quand on soulève un caillou il y a une école de jeux vidéo en dessous. Et des écoles dirigées par des escrocs, pour être clair. Pôle 3D fait partie des écoles sérieuses, structurées, en lien avec l’industrie. S’il fallait donnait un conseil aux parents par rapports à leurs enfants qui veulent aller dans ces métiers là, c’est de regarder avec quels studios les écoles bossent, où travaillent les diplômés,…
Est-ce qu’on vient de toute la France pour étudier à Pôle 3D ?
Il y a des élèves de la région mais aussi de toute la France car l’école attire. Et lorsqu’ils auront terminé leurs études, les élèves partiront dans le monde entier. Mais, tous les ans, on récupère des jeunes qui viennent travailler pour des boîtes qui se trouvent à la Plaine Images. Et cette année, on a deux groupes d’anciens étudiants qui se sont lancés dans l’aventure entrepreneuriale ici.