
Michel Collin est très inquiet pour l’avenir des commerces et des entreprises du territoire de la CCI Caen Normandie. © Marjorie Janetaud
Alors que l’Acte XIII des gilets jaunes se prépare à Caen (Calvados), le président de la CCI de Caen Normandie s’inquiète de voir de nombreux commerces et d’entreprises du territoire en grande difficulté ou fermer dans les mois à venir. Les blocages des grandes surfaces en fin d’année 2018 et les mobilisations qui ont dérapé plusieurs samedis en janvier 2019 font craindre le pire à Michel Collin qui souhaiterait que des mesures compensatoires soient prises par l’Etat et la Région Normandie.
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« Trois quarts de nos commerces sont en difficulté »
Alors qu’il est de tradition qu’à la nouvelle année vous fassiez un bilan de l’activité économique du territoire, vous avez cette année refusé de le faire. Pourquoi ?
Parce que c’est un bilan complexe à faire. Novembre et décembre sont des mois privilégiés pour le commerce. Le mouvement des gilets jaunes a commencé en novembre, a continué et s’est accru en pleine période de fêtes en décembre et malheureusement cela se prolonge en janvier, période de soldes. Le bilan pour les entreprises est compliqué à l’instant T à traduire en chiffres. Mais des éléments nous laissent penser que trois quarts de nos commerces sont en difficulté.
Quels sont les commerces les plus touchés ?
Tous les commerces de proximité bien sûr. Mais aussi les grandes surfaces qui ont été très touchées par les blocages en novembre et décembre. Elles ont retrouvé un peu d’air depuis le début d’année. En revanche, les images désastreuses de feu, de commerces barricadés, de destruction de commerces ont freiné les gens pour venir dans le centre-ville. C’est une ambiance assez détestable pour la santé du commerce et des entreprises en général.
23 entreprises ont demandé des chômages partiels et 41 entreprises ont demandé des délais de paiement à l’URSSAF suite au mouvement des #Giletsjaunes
— 14actu (@14actu) January 30, 2019
La périphérie également touchée
Les concessionnaires automobiles, situés en périphérie de Caen, sont-ils touchés aussi ?
Oui. Il y a un facteur très important et que l’on néglige souvent qui est le facteur moral du consommateur. En règle générale, les acheteurs se « lâchent » en décembre parce que c’est une période où l’on dépense un peu plus. C’est aussi la période du treizième mois et les concessionnaires signent plus de contrats. Mais cette année, c’est un peu l’inverse. Physiquement, les gens ont pu se rendre chez les concessionnaires mais n’ont pas acheté.
Quelles sont vos inquiétudes aujourd’hui ?
Que cela perdure ! En 2017, on constatait une nette embellie et les projections étaient favorables. En 2018, on a eu les grandes grèves de la SNCF qui ont impacté les entreprises dans leurs déplacements et leurs approvisionnements. Ce conflit à peine atténué, démarre cette crise sociétale à l’automne avec les gilets jaunes. On peut comprendre pourquoi les gens manifestent. Nous considérons d’ailleurs que le travail en France n’est pas assez considéré, pas assez valorisé. D’ailleurs beaucoup de nos commerces, sur le fond, ne contestent pas les revendications des gilets jaunes mais seulement les violences et le fait d’avoir été bloqués. Aujourd’hui 70 % des chefs d’entreprise en France se montrent extrêmement inquiets des conséquences du mouvement des gilets jaunes. Cela n’encourage pas l’embauche et l’investissement. Ce qui veut dire que nous sommes dans une économie au ralenti. On ne peut pas redistribuer ce qu’on n’a pas gagné. Et si l’économie française stagne, il n’y a pas de fiscalité supplémentaire pour l’État, donc pas de redistribution. Le gouvernement avait prévu une croissance à 1,8 % et on est plutôt sur une prévision à 1,3 %. Ce sont directement plusieurs centaines de millions d’euros de moins pour l’État.
L’exonération de charges suggérée par la Région Normandie au gouvernement, est-elle une solution selon vous ?
Les CCI normandes avaient alerté le président de Région sur les difficultés de certaines entreprises qui n’ont pas la trésorerie nécessaire pour passer les caps difficiles. Le président de Région renvoie la balle au gouvernement en disant que la mobilisation des gilets jaunes n’est pas de son fait mais de celui du gouvernement… et il consent un dispositif (lire ci-dessous) qui permet de co-garantir un emprunt à un commerce ou une entreprise en difficulté. Mais un emprunt à rembourser ne résout pas un problème de trésorerie. De la même manière surseoir à certaines charges sociales comme le propose Bruno Le Maire, ce n’est pas amender ou diminuer. Cela veut dire qu’on reporte le problème à un peu plus tard.
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Des mesures compensatoires attendues
Quelles solutions alors ?
Des mesures compensatoires. Nous avions imaginé qu’on puisse avoir de la part de la Région voire de l’État, ou les deux, une somme qui permettrait d’indemniser les entreprises et les commerces les plus pénalisés. À l’image de ce qui se fait dans le centre-ville de Caen pendant les travaux du tramway. Il y a une commission ad hoc, communale, intercommunale et CCI qui monte les dossiers pour les commerçants et une indemnisation en fonction de la baisse du chiffre d’affaires. Nous, chambre de commerce, nous nous proposions d’être l’interface entre les entreprises et les financeurs pour monter les dossiers. On n’a pas été entendus.
Et ce qui nous préoccupe aussi beaucoup, ce sont les retombées touristiques. Les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux et ce n’est pas très positif pour notre territoire. En Normandie, après une belle saison 2018, on s’attendait à une formidable saison touristique en 2019 grâce à l’Armada à Rouen et au 75e anniversaire du Débarquement sur nos plages. Et là on est inquiet car les réservations ralentissent.
Il serait bon que le mouvement se calme, que les gens participent éventuellement au débat pour faire entendre leurs idées et que des corrections soient apportées sur le plan sociétal.